La France, futur leader de l’IA ?

La France, futur leader de l’IA ?

Riche semaine pour l’IA vue par les pouvoirs publics : aprĂšs la naissance de l’AI Act europĂ©en, c’est  le rapport de la Commission de l’IA qui a Ă©tĂ© publiĂ© le 13 mars 2024 et remis au PrĂ©sident de la RĂ©publique.

Un rapport qui dresse un Ă©tat des lieux et formule 25 recommandations pour que le pays puisse tirer parti des opportunitĂ©s de l’IA tout en maĂźtrisant les risques.

On le savait dĂ©jĂ  : la France est en retard dans l’adoption de l’IA… et ce n’est pas une bonne nouvelle.

Le rapport vise donc d’abord Ă  « dĂ©diaboliser l’IA sans pour autant l’idĂ©aliser ». Il souligne que les bĂ©nĂ©fices de l’IA ne seront pas automatiques mais dĂ©pendront des choix politiques et de l’engagement collectif.

Commencons par le constat :

 Un potentiel de croissance important

Selon le rapport, l’IA pourrait avoir un impact Ă©conomique majeur. Elle permettrait de doubler la croissance annuelle de la France grĂące Ă  l’automatisation de certaines tĂąches. Au bout de 10 ans, le PIB pourrait augmenter de 250 Ă  420 milliards d’euros, soit l’Ă©quivalent de l’industrie actuelle.

Au-delĂ  de cet effet transitoire liĂ© Ă  l’automatisation, l’IA semble aussi accĂ©lĂ©rer l’innovation de façon plus pĂ©renne. En facilitant l’Ă©mergence de nouveaux produits, services et modĂšles, elle pourrait induire une hausse permanente du taux de croissance.

Cependant, ces gains ne sont pas garantis. L’histoire rĂ©cente montre que la France a peu bĂ©nĂ©ficiĂ© de la rĂ©volution numĂ©rique, contrairement aux États-Unis. Pour tirer parti de l’IA, des politiques publiques adaptĂ©es seront nĂ©cessaires, en matiĂšre d’innovation, d’industrie, de concurrence, de formation, etc.

Des entreprises françaises en retard

À ce jour, la France et l’Europe accusent un net retard dans l’IA. Les investissements y sont 3 Ă  4 fois infĂ©rieurs Ă  ceux des États-Unis Ă  richesse comparable. Seules quelques entreprises europĂ©ennes sont positionnĂ©es sur la chaĂźne de valeur de l’IA et aucune n’est de premier rang mondial.

Ce retard fait peser un risque de dĂ©classement Ă©conomique. D’une part, la France pourrait manquer l’Ă©conomie de l’IA et voir sa valeur captĂ©e par d’autres pays. D’autre part, les entreprises existantes pourraient perdre en compĂ©titivitĂ© face Ă  de nouveaux acteurs.

Pour combler ce retard, le rapport recommande de rĂ©orienter massivement l’Ă©pargne vers l’innovation, avec la crĂ©ation d’un fonds « France IA » de 10 milliards d’euros. Il prĂ©conise aussi de faciliter l’accĂšs aux donnĂ©es, en particulier personnelles, de faire de la France un pĂŽle majeur de la puissance de calcul et de soutenir un Ă©cosystĂšme ouvert de dĂ©veloppeurs d’IA.

Des effets contrastĂ©s sur l’emploi

Concernant l’emploi, le rapport estime que l’IA aura un effet globalement positif en France, malgrĂ© des incertitudes. D’un cĂŽtĂ©, l’automatisation permise par l’IA supprimera certains emplois, en particulier ceux composĂ©s de tĂąches routiniĂšres. Mais d’un autre cĂŽtĂ©, l’IA devrait aussi crĂ©er des emplois dans de nouveaux mĂ©tiers ainsi que dans des mĂ©tiers existants.

Une Ă©tude empirique menĂ©e sur des entreprises françaises montre que celles qui adoptent l’IA voient leur emploi total augmenter davantage que les autres. Cet effet positif s’explique par le fait que l’IA remplace des tĂąches et non des emplois dans leur intĂ©gralitĂ©. Seuls 5% des emplois seraient directement remplaçables par l’IA.

Cependant, cet effet n’est pas uniforme. Certains mĂ©tiers administratifs et commerciaux semblent plus exposĂ©s Ă  des rĂ©ductions d’emplois. Et les travailleurs indĂ©pendants effectuant des tĂąches facilement automatisables pourraient subir une concurrence accrue de l’IA.

Au-delĂ  de l’effet sur le volume d’emploi, l’IA pourrait aussi creuser les inĂ©galitĂ©s. Les entreprises qui l’adoptent tendent Ă  embaucher davantage de profils trĂšs qualifiĂ©s et techniques, mieux rĂ©munĂ©rĂ©s. Mais Ă  l’inverse, l’IA semble aussi bĂ©nĂ©ficier le plus aux travailleurs initialement les moins qualifiĂ©s ou productifs.

Pour accompagner ces transformations, le rapport insiste sur l’importance de la formation initiale et continue. Il recommande d’investir dans l’observation et la recherche sur les impacts de l’IA sur l’emploi. Le dialogue social est aussi vu comme essentiel pour construire les usages de l’IA de façon partenariale.

Impacts sur la vie quotidienne

Une technologie déjà trÚs présente

Au-delĂ  de la sphĂšre Ă©conomique, l’IA est de plus en plus prĂ©sente dans notre vie quotidienne. Selon un sondage, 55% des Français disent bien connaĂźtre ChatGPT un an aprĂšs son lancement. Mais les applications de l’IA vont bien au-delĂ  : reconnaissance faciale, traduction, recommandation de contenus, assistants vocaux, etc.

Cette omniprĂ©sence suscite Ă  la fois de la fascination et de la crainte dans l’opinion. 77% des Français voient l’IA comme une vraie rĂ©volution mais 68% sont favorables Ă  une pause dans son dĂ©veloppement. Cette ambivalence n’est pas nouvelle. Par le passĂ©, de nombreuses innovations (trains, Ă©lectricitĂ©, etc.) ont suscitĂ© des peurs, parfois infondĂ©es, parfois justifiĂ©es.

Pour favoriser l’acceptabilitĂ© de l’IA, le rapport prĂ©conise de mener un travail de pĂ©dagogie et de dĂ©bat public. Il recommande de lancer un vaste plan de sensibilisation et de formation de la nation, en s’appuyant notamment sur l’Ă©ducation et la recherche.

Des assistants personnels de plus en plus présents

Parmi les applications grand public de l’IA, les assistants vocaux comme Siri ou Alexa ont un impact croissant sur notre quotidien. Ils permettent d’effectuer de nombreuses tĂąches sans intervention humaine : Ă©couter de la musique, obtenir des informations, piloter des objets connectĂ©s, etc.

Dans le domaine du service client, les agents conversationnels se dĂ©veloppent aussi rapidement. Ils sont capables de rĂ©pondre Ă  des questions basiques de façon fluide et naturelle. Leur dĂ©ploiement permet aux entreprises de rĂ©duire les coĂ»ts et d’amĂ©liorer la disponibilitĂ© du service.

À l’avenir, les assistants personnels devraient gagner en intelligence et en autonomie. Ils pourraient devenir de vĂ©ritables compagnons du quotidien, capables d’apprendre nos prĂ©fĂ©rences et d’anticiper nos besoins. Leur mode d’interaction devrait aussi Ă©voluer vers des interfaces plus naturelles et intĂ©grĂ©es.

Des impacts sur la mobilité et la santé

Deux domaines oĂč l’IA pourrait avoir un impact majeur sont la mobilitĂ© et la santĂ©. Le dĂ©veloppement des vĂ©hicules autonomes promet de transformer radicalement nos dĂ©placements. Il pourrait rĂ©duire les accidents, fluidifier le trafic, faciliter le stationnement et mĂȘme rĂ©organiser l’espace urbain.

Dans la santĂ©, l’IA ouvre de nouvelles perspectives en matiĂšre de diagnostic, de mĂ©decine personnalisĂ©e, d’Ă©pidĂ©miologie ou de prĂ©vention. Des outils d’aide Ă  la dĂ©cision mĂ©dicale se dĂ©veloppent, capables par exemple de dĂ©tecter des cancers Ă  partir d’imageries. À terme, l’IA pourrait permettre un suivi continu et personnalisĂ© de chaque patient.

Cependant, ces innovations soulĂšvent aussi des questions Ă©thiques et de responsabilitĂ©. Elles nĂ©cessiteront d’adapter les cadres juridiques et assurantiels. La protection des donnĂ©es de santĂ©, trĂšs sensibles, sera un enjeu majeur. Le rapport appelle Ă  un dĂ©bat sociĂ©tal sur ces sujets.

Une technologie Ă©nergivore

Un autre enjeu de l’IA est son impact environnemental. L’entraĂźnement des grands modĂšles d’IA consomme d’importantes quantitĂ©s d’Ă©nergie. Selon une estimation, l’IA pourrait consommer entre 85 et 134 TWh d’Ă©lectricitĂ© en 2027 dans le monde, soit l’Ă©quivalent de la consommation de la SuĂšde.

Cette consommation est liĂ©e Ă  la puissance de calcul nĂ©cessaire, qui repose sur des processeurs Ă©nergivores. Leur production a aussi un impact environnemental, du fait de l’extraction de matĂ©riaux rares. Cependant, les processeurs dĂ©diĂ©s Ă  l’IA ne reprĂ©sentent qu’une infime partie de la production mondiale.

Face Ă  ce dĂ©fi, le rapport appelle Ă  faire de la France un pionnier de l’IA durable. Il recommande de renforcer la transparence sur l’impact environnemental des modĂšles, d’orienter la recherche vers des solutions plus sobres et de mobiliser l’IA elle-mĂȘme pour accĂ©lĂ©rer la transition Ă©cologique.

Les 25 recommandations et 7 priorités (en bleu pour aller plus vite ):

  1. Lancer un plan de sensibilisation et de formation de la nation Ă  l’IA pour crĂ©er les conditions d’une appropriation collective des enjeux.
  2. Investir massivement dans les entreprises du numĂ©rique et la transformation des entreprises, notamment via la crĂ©ation d’un fonds « France & IA » de 10 milliards d’euros, pour soutenir l’Ă©cosystĂšme français de l’IA.
  3. Faire de la France et de l’Europe un pĂŽle majeur de la puissance de calcul, Ă  court et moyen terme.
  4. Transformer l’approche de la donnĂ©e personnelle pour continuer Ă  protĂ©ger tout en facilitant l’innovation.
  5. Assurer le rayonnement de la culture française en permettant l’accĂšs aux contenus culturels dans le respect des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle.
  6. Assumer le principe d’une « exception IA » dans la recherche publique pour en renforcer l’attractivitĂ©.
  7. Structurer une initiative diplomatique cohĂ©rente visant la fondation d’une gouvernance mondiale de l’IA.
  8. GĂ©nĂ©raliser le dĂ©ploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supĂ©rieur et acculturer les Ă©lĂšves dans le secondaire.
  9. Investir dans la formation professionnelle continue des actifs et les dispositifs de formation autour de l’IA.
  10. Faire du dialogue social et de la co-construction la pierre angulaire du recours Ă  l’IA.
  11. Équiper les agents publics pour transformer l’administration grĂące Ă  l’IA.
  12. Mieux soigner grĂące Ă  l’IA en accordant plus de temps au soin.
  13. Mieux Ă©duquer grĂące Ă  l’IA via l’accompagnement individualisĂ© des Ă©lĂšves.
  14. Disposer de capacités de calcul souveraines.
  15. Accéder à des données de qualité.
  16. Attirer les talents pour construire les technologies et usages de demain.
  17. DĂ©ployer massivement l’IA dans l’Ă©conomie.
  18. BĂątir une gouvernance internationale de l’IA qui fait dĂ©faut aujourd’hui.
  19. Disposer en France d’une capacitĂ© d’Ă©valuation des systĂšmes d’IA.
  20. Éviter les positions concurrentielles dominantes.
  21. Faciliter l’entraĂźnement des modĂšles d’IA dans le respect des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle.
  22. Renforcer la transparence sur l’impact environnemental des modĂšles d’IA.
  23. Orienter la recherche vers des solutions d’IA plus sobres.
  24. Mobiliser l’IA elle-mĂȘme pour accĂ©lĂ©rer la transition Ă©cologique.
  25. Créer un mécanisme de solidarité « 1% IA » pour les pays en développement.

Notre avis ?

Si le constat et la dĂ©finition des enjeux autour de la rĂ©volution IA dĂ©ja Ă  l’oeuvre sont justes, les 25 (!) recommandations ont un petit air incantatoire qui peut laisser rĂȘveur…

Et sans surprise pointe toujours en sous-texte la tentation de rĂ©guler ce qui n’existe pas encore, avec des impacts Ă©conomiques disons… incertains, dĂ©ja constatĂ©s dans le passĂ© rĂ©cent (coucou le RGPD).

Restons néanmoins optimistes : comme le souligne le rapport, la France a des atouts mais doit agir vite et fort pour ne pas se faire distancer.

Une certaine bande de gorilles 🩍 s’y emploie dĂ©ja 😁.

Et vous, qu’en pensez-vous ? On aimerait beaucoup avoir votre avis.